Le Project Critique des Maximes

La fonction de la maxime, comme celles de La Rochefoucauld, publiées dans son recueil sous le titre originel de Réflexions ou Sentences et Maximes Morales en 1665, autrement connu comme Maximes, est de révéler dans le cadre d’une forme brève, close, et succincte, une sagesse qui sert comme démystifiante des choses vraies. Dans les salons des élites, notamment ceux de Mme de Sévigné et Mme de La Fayette, La Rochefoucauld s’empare des jeux de l’esprit, affine sa pensée critique pour ensuite rassembler ses idées dans les paroles qui ne veulent pas tout dire. C’est, en effet, un projet critique qui prévoit la démolition de la notion du héros et la condamnation de ce qui est vraiment au fond du cœur humain, la base fondamentale de ce qu’on prétendit comme le vertu, c’est-à-dire l’amour-propre. Dans un deuxième temps, c’est un travail qui fait travailler l’esprit par rapport à sa structure, celle de la maxime qui est à la fois serrée dans sa forme et subtile dans ses paroles.

Dans les Maximes, La Rochefoucauld va démontrer ce que sont les vertus de l’homme à leur première base: l’égoïsme du moi. Le cible de ses critiques et l’anti-héros de cet oeuvre est l’amour-propre ou l’amour de soi qui nous pousse à agir non pas par l’honneur, l’honnêteté, ou la décence même, mais avec l’intention d’avoir des biens, du respect, ou du plaisir. Comme le dit Rochefoucauld dès la première ligne, “Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés,” ce sont les vices d’amour-propre qui apparaissent toute de même comme des vertus aux yeux d’autrui. De même, il va remettre en cause des valeurs humains en démolissant systématiquement la notion du héros. Le héros du XVIIème siècle, c’était le guerrier qui chérissait les vertus militaires, la valeur, le courage, mais qui était aussi un homme morale, maître de ses passions, capable de constance. L’idéale du stoïcisme dans l’antiquité, La Rochefoucauld va détruire cette morale du héros en nous montrant ce qu’il y a du vrai au fond du cœur. Bien que l’amour et le vertu existent en tant que des vraies valeurs, selon lui dans la maxime 76 “Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits,” mais cela est une chose que nous ignorons, “…tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.” C’est une critique anti-stoïcienne, vif et téméraire, qui se distingue aussi bien dans ses paroles que dans sa forme.

Pour un homme de lettres, il ne suffit pas de briller dans son discours avec des mots seuls; il faut dire dans une manière raffinée et sophistiquée sa pensée car la structure compte autant que le sentiment. Dans la forme brève d’une maxime, La Rochefoucauld y met toutes ses pensées acérées dans la tradition du jeu de salon dont il faisait parti. C’est un style serré, caractérisé comme “l’art de l’esquisse” ou, comme le peintre qui ne donne que les “premiers traits du tableau,” on laisse au lecteur “le loisir de pénétrer le sens et la force des paroles,” de trouver lui-même les couleurs. “Comme c’est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses…” telle est la forme que va prendre cette critique, un laconisme abstrait avec une optique changeant selon le point de vision. L’outil qu’il va employer partout dans l’œuvre entier, c’est l’anamorphose: pareil aux miroirs cylindriques ou l’image change avec les nouveaux dispositifs optiques. Par exemple, prenons la maxime 151, “Il est plus difficile de s’empêcher d’être gouverné que de gouverner les autres,” et analysons la dans son contexte d’une série de maximes sur la louange et la flatterie: au premier vu, le fait de gouverner les autres semble de ne rien avoir avec tout cela. Cependant, en creusant au fond, on pourrait se rapprocher à l’exemple de la Fontaine, “Maître corbeau, que vous êtes joli, que vous êtes beau,” et ce dernier qui, ouvrant son bec pour chanter, laisse tomber le beau fromage au renard, tant la flatterie le prend. C’est l’exercice de vues différentes, on nous laisse le jeu de les découvrir, le plaisir de déchiffrer le sens pour comprendre une richesse de sagesse.

On peut constater enfin que les critiques de La Rochefoucauld sont le fruit d’une époque où tout va être remis en cause. C’est, en effet, l’ère d’expansion territoriale vers les mondes nouveaux, peu connus et éloignés du royaume de l’intérieur de la France. C’est le temps d’une révision de connaissance qui va trouver son apogée au cours du XVIIIème siècle avec les philosophes des lumières. C’est le travail des moralistes classiques, dont La Rochefoucauld, la Bruyère, et Pascal, qui va devenir la base de la lutte contre l’esprit fermé de l’antiquité et va fournir l’exemple à ceux qui vont ensuite prendre l’arme de plume pour rejeter cette société restant dans le noir.

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